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Moulinet mouche en bambou du Tonkin

Préambule

 

Ça faisait longtemps que ça me titillait, mais je manquais de temps pour me lancer dans la construction d'un moulinet en bambou du Tonkin.

Heureusement, la retraite est tombée à point nommé pour tenter de mener à bien ce projet.

Ce challenge était un peu insensé car la matière première (le bambou) ne permet d'obtenir que des pièces de faible épaisseur et largeur (respectivement 5 et 12 mm environ).

La technique du "lamellé-collé" m'a donc semblé être la seule adaptée à la construction d'un tel objet.

Par contre, étant bien décidé à utiliser cet objet une fois achevé, l'emploi de quelques composants métalliques a été inévitable (axe, roulements, rondelles et vis).

C'est donc avec plaisir que je vous présente en détail les différentes étapes de la fabrication de ce moulinet.

 

Quelques chiffres

 

Ce moulinet est composé de 249 pièces distinctes (hors coffret) :

  • 170 pièces en bambou du Tonkin
  • 48 chevilles en noyer ø 1mm
  • 16 composants mécaniques (axe et flasque en aluminium, roulements à billes et à aiguilles, bagues en laiton, rondelles )
  • 14 vis
  • 1 bague passe-fil taillée dans une tranche d'agate

La colle utilisée est la ➤  "Titebond 3 Ultimate"

 

Le bâti fait 90 mm de diamètre et 38 mm de largeur.

Cet objet a nécessité la fabrication de 6 outillages de collage.

Le temps passé à sa réalisation est de l'ordre de 4 à 500 heures ( quand on aime ... )

Le moulinet fini pèse 137 grammes.

 

Le coffret est réalisé à partir de 36 pièces en tilleul, 3 inserts en wengué, 12 chevilles en noyer et quelques composants mécaniques.

 

 

Toutes les photos de cet article sont "cliquables" pour être agrandies.

 

La bobine

 

Le moyeu

 

Il est composé de 12 lamelles de bambous de 26 x 6 x 4 mm.

De la même façon que pour les cannes en bambou refendu, chaque pièce de bois est cuite au four (trempe). La température est d'environ 180 °, et le temps de chauffe d'une vingtaine de minutes.

Cette opération est destinée à éliminer l'humidité résiduelle dans le bambou, limitant par la suite les phénomènes de dilatation.

 

 

Les 12 pièces sont ensuite usinées en épaisseur et en largeur avec 2 angles à 30° afin, une fois collées en elles, de constituer un cylindre.

 

 

L'opération de collage peut alors être effectuée.

 

 

Après séchage, le moyeu est tourné, et 2 alésages sont réalisés aux extrémités pour recevoir les bagues porte-roulement en laiton.

Six encoches sont également fraisées sur chacune des 2 faces du moyeu. Dans ces encoches, les 12 rayons de la bobine seront "encastrés".

 

 

 


Les 2 jantes

 

Chacune de ces jantes est composée de 12 secteurs en bambou de 20 x 4,5 x 4,5 mm, usinés à la fraiseuse. La moitié de ces secteurs comporte des rainures dans lesquelles se logeront les rayons de la bobine.

 

 

 

Une fois collées, les jantes doivent être parfaitement concentriques, ce qui nécessite l'outillage ci-dessous.

 

 

Les 12 rayons de la bobine sont réalisés dans des lamelles de bambou de 27 x 12 x 4,5 mm.

Dans un premier temps, ces pièces sont mises à l'épaisseur à la fraiseuse. Leurs profils galbés sont ensuite ébauchés sur cette même machine, puis terminés à la lime à main.

 

 


L'assemblage jantes / moyeu

 

Cet assemblage et collage des 15 pièces entre elles m'a bien fait gamberger. Il fallait en effet que les 2 jantes soient parfaitement parallèles et concentriques entre elles.

J'ai donc fabriqué un outillage en deux parties destiné à recevoir les jantes de part et d'autre, tout en emprisonnant le moyeu au centre. Ainsi, l'opération de collage peut être réalisée en une seule fois. Après séchage, les deux parties de cet outillage sont désolidarisées et la bobine peut ainsi être extraite.

Au sujet de ces outillages, je précise qu'ils sont très faciles à réaliser, à condition, bien sur, de posséder un petit tour à bois. Ils sont confectionnés dans des pieds de lit en hêtre, que l'on trouve dans les grandes surfaces de bricolage.

 

 

 

 

La bobine est terminée !

 

 

Sans doute superflues, mais pour le "fun", des micro-chevilles en noyer ø 1 mm sont ajoutées pour renforcer la tenue entre les rayons et les jantes.

 

 


La manivelle

 

Elle est constituée de 18 pièces de bambou (6 pièces de section isocèle pour chacun des 3 éléments).

À ce stade, je précise avoir oublié de contrebalancer le poids de cette manivelle par une pièce de bambou fixée à l'opposé, afin d'éliminer le balourd lors de la rotation. Cet ajout sera fait un peu plus tard.

 

 

 

 

L'axe central

 

Cet axe monobloc est réalisé en aluminium 6005. C'est un alliage qui a une bonne résistance mécanique. D'autre part, il résiste bien à la corrosion.

Le diamètre de l'axe en lui-même fait 8 mm (longueur 43 mm), et celui de la platine 30 mm (épaisseur 2,5 mm).

Sur la couronne d'extrémité, 6 perçages/taraudages sont usinés. Ils assureront la liaison entre le bâti et la bobine du moulinet.

 

 

Deux bagues épaulées porte-roulements sont tournées dans un alliage de bronze.

 

 

Et voici l'axe central, fixé dans le bâti du moulinet et centré dans un lamage usiné dans la flasque du bâti.

 

 

Le bâti

 

La flasque arrière

 

Ce composant du bâti comporte 18 pièces de bambou de 44 x 15 x 4 mm.

Ces pièces sont dégrossies en biseau (angle 20°) au moyen d'une scie à ruban. La finition est faite à la lime à main sur un gabarit usiné dans un plat en aluminium.

 

 

 

Cette flasque devant être parfaitement plane et concentrique, un nouvel outillage de collage est crée. Il assure le serrage des 18 pièces entre elles, ainsi que la parfaite planéité de l'ensemble.

 

 

Une fois le collage terminé, la flasque est tournée à sa périphérie, puis percée en son centre.

 

 

Tournage d'un insert "décoratif" destiné à fermer le trou central de la flasque lorsqu'il ne sera plus utilisé pour certains usinages.

 

 

Enfin, les perçages et les fraisures à 90° nécessaires aux 6 vis de fixation sont usinés à l'arrière de la flasque.

 

 

 


La cage

 

Elle nécessite 18 pièces de bambou de 32 x 15 x 5 mm contre-collées entre elles.

 

 

Comme pour la totalité des autres pièces en bambou, celles-ci sont "trempées" à 180 ° pendant une vingtaine de minutes. La faible dimension de ces pièces permet d'utiliser le four de la cuisine, ce qui est très pratique.

Par contre, il convient de bien vérifier que Madame ne rode pas dans le secteur pendant cette opération 😂.

 

 

Les 18 pièces de la cage du bâti sont ensuite usinées à la fraiseuse. Cet usinage consiste à chanfreiner à un angle de 10 ° chacun des segments de bambou.

Un petit outillage réalisé au préalable permet de les fixer efficacement sur la table de la machine.

 

 

Pour l'assemblage de ces segments avant le collage, j'utilise la même méthode pour tous les ensembles, qui, une fois collés, doivent avoir une forme circulaire : les pièces de bambou sont mises côte à côte, et un scotch adhésif les lie entre elles.

Un "ruban" est ainsi formé, ce qui facilite grandement l'opération de collage.

 

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Avant ce collage, différents usinages sont réalisés.

Tout d'abord, le logement qui reçoit la contre-platine de fixation du pied du moulinet ....

 

 

... et ensuite, le logement de la bague passe-fil en agate, ainsi que des allègements à l'intérieur de la cage du bâti.

 

 

 

Le collage peut maintenant être réalisé.

Pour cette opération, aucun outillage particulier n'est nécessaire. En effet, lors du serrage au moyen de 2 colliers, la cage adopte automatiquement une parfaite concentricité.

 

 

Après séchage, un alésage est pratiqué à l'arrière de la cage. Il est destiné à recevoir la flasque arrière.

Bien sur, vous pouvez imaginer le "stress" lors de ce type d'opération "sensible" sur une pièce qui a nécessité 30 à 40 heures de travail. Une seule fausse manip et ...

 

 

 

Lors du collage de la flasque arrière sur le cage du moulinet, un point m'a posé problème : le risque induit par la dilatation de la flasque arrière, qui pourrait être préjudiciable pour cette cage.

Je pense avoir résolu cette question en laissant un jeu de l'ordre de 2 dixièmes de mm, et en réalisant le collage au moyen d'un mastic silicone souple.

 

 


La bague passe-soie en agate

 

Je dois reconnaitre qu'il s'agit de la pièce qui a nécessité le plus de temps ...

 

 

En effet, l'agate est très fragile, et son usinage très délicat. Il convient d'utiliser des outils diamantés, et de faire preuve de beaucoup de "douceur" et de patience.

Un petit outillage réalisé spécialement pour fixer la tranche d'agate sur la table de la fraiseuse m'a bien aidé, mais j'ai quand même cassé 4 pierres avant d'arriver à mes fins.

 

 

 

Après 3 bonnes heures de polissage, voici le passe-fil en agate terminé.

Cette pièce mesure 24 x 18 x 4 mm.

 

 

La bague est mise en place dans le logement du bâti. La fixation est réalisée au moyen d'un mastic silicone.

 

 

La molette de freinage

 

Cette molette est fabriquée à partir de deux "rondelles" contrecollées de 30 mm de diamètre. Chacune de ces rondelles est constituée de 8 pièces de bambou de 4,5 mm d'épaisseur et biseautées à 45 °.

 

 

Ci-dessous, le parfait exemple de ce qu'il ne faut surtout pas faire : l'emploi d'une scie à ruban sans porter de gants !

 

 

Une des 2 rondelles est en cours de collage dans un petit outillage spécifique réalisé à cet effet.

 

 

La molette est ensuite tournée et chanfreinée.

Des rainures concaves sont également fraisées sur le pourtour du chanfrein pour faciliter la préhension de cette molette.

 

 

Un lamage est réalisé sur la face interne de la molette en bambou. Ceci permet de la fixer par 6 vis sur une embase en alliage d'aluminium, pourvue d'un taraudage en son centre. C'est ce taraudage qui permet l'action de serrage ou de desserrage du frein.

 

 

 

Enfin, un petit bouton fileté est réalisé.

Il est destiné, d'une part, à cacher la partie visible peu esthétique de la platine en aluminium. D'autre part, il permet à la molette de ne pas se dévisser entièrement, dans le but de ne pas la perdre.

 

 

Le pied

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Le pied est fabriqué au moyen de 8 plaquettes de 62 x 16 x 2 mm.

L'emploi de pièces de bambou très minces est voulu. En effet, certaines parties du pied sont très fines (moins d'1 mm). Il est donc nécessaire d'employer le plus possible la cuticule, qui est la partie la plus résistante du bambou (enveloppe extérieure).

Ces plaquettes sont mises à l'épaisseur à la fraiseuse, et contrecollées entre elles.

 

 

Le pied du moulinet est "dégrossi" à la fraiseuse ...

 

 

... et la forme définitive est usinée à la lime à main.

 

 

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Finition et "vues éclatées"

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Tous les composants en bambou ont été poncés et lustrés, avant de recevoir 6 couches de vernis "tru-oil", de Birchwood.

Ce vernis est idéal pour ce type d'objet car il est très facile à mettre en œuvre au moyen d'un chiffon doux.

➤  Tru Oil

 

Les pièces en aluminium, quant à elles, ont été traitées au moyen du produit "aluminium black", également de Birchwood.

Outre la protection anti-corrosion qu'il assure, il donne aux pièces traitées un aspect "patiné" du plus bel effet.

➤  Aluminium Black

 


Vues éclatées

 

Voici les différents composants de la bobine, avec tous ses éléments de roulement et de freinage.

 

 

 

Et voici maintenant la vue éclatée de l'ensemble du moulinet.

 

 


Plans

 

Il s'agit de photos de plans réalisés sur du papier millimétré, ce qui induit des photos de qualité très moyenne.

 

 

 

 

 

Le coffret de rangement

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Ce coffret est réalisé avec 36 pièces de tilleul de 6 mm d'épaisseur, 3 inserts en wengué et 12 chevilles en noyer.

Une charnière en laiton et un poussoir à ressort noyé dans une pièce de tilleul assurent la fermeture du couvercle.

 

 

 

Le moulinet est maintenant bien "au chaud" dans son coffret douillet.

 

 

Petit ajout de dernière minute : une clé de serrage dédiée au bouton permettant de démonter le système de freinage. La poignée de cette clé est bien entendu réalisée en ... bambou.

 

 

Baptême de l'eau ...

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Ce fut avec une certaine émotion que j'amenais à la pêche mon moulinet terminé, afin de lui donner son "baptême de l'eau".

Pour cela, je choisis l'Iratiko Erreka (Iraty), une petite rivière intime nichée dans le fin fond du pays basque.

Le moulinet fut bien sur installé sur une canne en ... bambou de ma fabrication et je pris un plaisir extraordinaire de pêcher une paire d'heure avec cet ensemble. Pas plus, car le temps ne fut malheureusement pas de la partie.

 

 

Comme vous devez vous en douter, l'objectif était de prendre un poisson.

Et bien cet objectif fut rempli car un vairon coopératif eut le bon goût de se saisir de mon palmer 😂

 

 

Il me reste à vous remercier d'être allé au bout de cet article retraçant cette magnifique aventure, en espérant que vous y avez pris du plaisir ...

 

3 réponses à “Moulinet mouche en bambou du Tonkin

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